Pile ou face
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Vincent et Antoine sont deux comédiens, autrefois amis, qui ne se sont pas vus depuis des années. Au fil du temps, leur amitié s’est muée en une rivalité à la fois professionnelle et amoureuse. L’un a donné rendez-vous à l’autre sur la scène d’un théâtre pour renouer le fil de cette amitié qui s’en est allée avec leur jeunesse. Cette tentative de réconciliation tournera au règlement de comptes, avant de déboucher peut-être sur un projet inattendu.
Distribution : 2 hommes
ISBN 978-2-37705-627-9
Mai 2022– 43 pages ; 18 x 12 cm ; broché.
Prix TTC : 12,00 €
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Le plateau est vide à l’exception de deux chaises, de part et d’autre d’une petite table. Vincent arrive, une tasse à la main. Il s’assied et sirote son café en regardant dans le vide. Il jette un œil à sa montre. Il pose sa tasse sur la table, se lève, et s’adresse aux spectateurs.
Vincent – Moi, c’est Vincent. J’attends Antoine. Il ne devrait pas tarder à arriver. À moins que finalement, il ait décidé de ne pas venir. Remarquez, je comprendrais... Mais non, je pense qu’il viendra. Ne serait-ce que par curiosité. Il viendra, vous verrez. Pour savoir ce que je peux bien lui vouloir après toutes ces années. Antoine, c’est... un ami. Enfin, je crois. Disons que... on était très amis, autrefois. On était ensemble au lycée. Un lycée catholique dans une petite ville de province. L’ambiance était plutôt stricte, mais... on a quand même réussi à faire un tas de conneries. Ça on peut dire qu’on s’est bien marrés. On avait même monté une compagnie de théâtre tous les deux. Enfin avec quelques autres aussi. Des filles surtout... D’ailleurs, au départ, cette compagnie, c’était surtout un piège à filles. On organisait des castings pour des pièces qu’on ne montait jamais. On choisissait toujours les plus jolies, évidemment. Et pour la scène d’audition, la fille devait embrasser son partenaire. C’est-à-dire l’un de nous deux, pendant que l’autre jouait au directeur de casting. Le truc était un peu gros, mais ça marchait parfois avec les moins farouches. Enfin, comme on était tous mineurs, personne n’a jamais porté plainte, et on n’a pas été poursuivis pour harcèlement sexuel. Eh, oui... C’était une autre époque. Après... on est montés à Paris, comme on dit, et on a fait le Cours Florent. Toujours ensemble. Antoine et moi. Pendant un an, on a partagé une chambre de bonne à Montmartre. La vie de bohème, quoi. Comme dans la chanson d’Aznavour. (On entend au piano les premières notes de la chanson, mais pas les paroles) Il y avait à peine la place pour un lit d’une personne dans ce placard à balais. Tous les soirs on tirait à pile ou face, et le perdant dormait par terre sur un matelas gonflable, les pieds dans l’entrée et la tête dans les toilettes, où il y avait moins de courants d’air. C’est vrai, à cette époque-là, on était inséparables... Oui, on peut dire qu’Antoine... c’était mon meilleur ami. (Un temps) Ensuite on a commencé à faire des castings. À travailler un peu, chacun de son côté. Des petits rôles dans des téléfilms ou des comédies de boulevard... Antoine est resté quelques mois encore dans cette chambre de bonne. Moi je me suis incrusté chez une copine dans un studio à peine plus grand. Au moins, on pouvait dormir tous les deux dans un lit. Lui tout seul, et moi avec cette fille que j’avais rencontrée sur un tournage. Les années ont passé et puis... on s’est vus de moins en moins, avec Antoine. Jusqu’au jour on ne s’est plus vus du tout. Je ne sais pas pourquoi. Enfin, si, j’ai une petite idée, mais... Non, je ne sais pas... Antoine est toujours comédien, comme moi. Enfin, lui... il continue à faire des figurations, principalement. Des silhouettes, comme on dit. Vous savez, tous ces personnages transparents que personne ne voit dans les films. Sauf leurs amis Facebook, à condition de les avoir prévenus la veille : Attention, si vous regardez le téléfilm sur la deux, demain soir, vous me verrez. Je suis le garçon de café qui apporte sa bière à l’Inspecteur Maigret dans la première scène. Mais faites attention, on me voit seulement de trois-quart pendant deux ou trois secondes. Et quand Maigret me tend un billet et qu’il me dit gardez la monnaie, je lui réponds merci. Une demi-journée à poireauter sur un plateau pour dire merci à l’Inspecteur Maigret. Au moins, vous pouvez poster sur Instagram la feuille de service sur laquelle votre nom apparaît à côté de celui de la vedette à qui vous dites merci. Dans l’espoir qu’un jour, ce sera vous la vedette et que c’est à vous qu’on dira merci... (On entend les premières notes et les premières phrases de la chanson d’Aznavour « Je m’voyais déjà ») : À dix-huit ans j’ai quitté ma province, bien décidé à empoigner la vie. Le cœur léger et le bagage mince, j’étais certain de conquérir Paris). Antoine n’a pas eu cette chance, malheureusement. Il continue à jouer les serveurs et à dire merci. Avant, il faisait encore un peu de théâtre, mais on ne lui propose plus grand-chose maintenant. D’ailleurs, je crois qu’il songe à arrêter le métier. Pour redevenir comptable. Oui, parce qu’à la fac, il avait commencé des études de comptabilité. Pourtant, ce n’est pas un mauvais comédien, mais... il a toujours manqué d’ambition. Vous verrez, Antoine, c’est... un gentil garçon. Enfin, je ne veux pas dire que c’est un gentil garçon au sens où... Non, parce que quand on dit un gentil garçon, tout de suite on pense à quelqu’un d’un peu con. Allez savoir pourquoi, de nos jours, la gentillesse et la connerie, c’est presque synonyme.
Antoine arrive.
Antoine – Je te dérange, tu es au téléphone ?
Vincent – Non, non, pas du tout. Entre Antoine, je t’en prie...
Antoine avance vers le centre du plateau, aperçoit les spectateurs, et reste un instant interloqué.
Antoine – C’est une blague ?
Vincent – Quoi ?
Antoine – C’est quoi, ce traquenard ? Tu me dis que tu veux me voir, tu me donnes rendez-vous sur la scène de ce théâtre qui est fermé depuis des années. Tu ne m’as pas parlé d’une audition publique. Je n’ai rien préparé, moi.
Vincent – Ah, non, mais ce n’est pas une audition. Enfin, pas vraiment.
Antoine – Non, mais il y a un public, là, je ne rêve pas.
Vincent – Un rêve... Ce serait plutôt un cauchemar, non ? Tu imagines ? Un type qui ouvre une porte, chez lui, celle des toilettes par exemple, et qui se retrouve soudain sur une scène devant un public. Sans savoir dans quelle pièce il joue, ni quel texte il doit dire.
Antoine – C’est un peu l’histoire de ma vie, mais bon... Tu peux me dire ce que je fais là ?
Vincent – On est dans un théâtre, non ?
Antoine – Je ne savais même pas que c’était encore un théâtre... Plus rien ne s’est joué ici depuis plus de vingt ans.
Vincent – Un théâtre, c’est comme une église. Tant qu’on ne l’a pas désacralisée, on peut toujours y dire la messe.
Antoine – La messe ?
Vincent – C’est une image...
Antoine – Mais c’est pour quoi ? Un casting ?
Vincent – Un casting, oui, si tu veux...
Antoine – Ah mais moi, je ne veux rien. C’est toi qui m’as demandé de venir.
Vincent – Absolument. Comment tu vas ?
Antoine (en aparté) – Tu veux vraiment qu’on se mette à bavarder comme si de rien n’était ? Là, devant le public.
Vincent – Fais comme s’il n’y avait personne... Comme au théâtre, justement. Le quatrième mur, comme on dit. Tu veux boire quelque chose en attendant ?
Antoine – En attendant quoi ?
Vincent – Un café ? Je viens de m’acheter une machine à expresso. Tu verras, il est très bon.
Il sort. Antoine reste un instant interloqué. Il jette un regard vers les spectateurs, un peu gêné. Il fait quelques pas, puis revient au centre de la scène et s’adresse au public.
Antoine – Excusez-moi, je ne sais pas du tout ce que je fais ici... (Il essaie sans succès de prendre une contenance en s’asseyant, puis il se relève et fait à nouveau quelques pas.) J’espère qu’il va revenir, parce que c’est un peu embarrassant... Il faut dire que ce con a toujours eu le chic pour me mettre dans des situations embarrassantes... (Silence) Vincent et moi, on est... de vieux amis. Enfin, des amis de jeunesse, plutôt, parce que de vieux amis... Ça supposerait qu’on soit encore amis. On a fait les quatre cents coups ensemble, quand on était au lycée. On faisait partie d’une troupe de théâtre qu’on avait montée ensemble. Avec quelques filles aussi... Enfin, bref. Après on est devenus comédiens, tous les deux. Je veux dire... comédiens professionnels. Intermittents, quoi. On ne se voyait plus que de façon... intermittente. On a suivi chacun notre chemin. Et nos chemins ne se croisaient plus beaucoup. Vincent... Ça fait des années que je ne le vois plus. C’est pour ça que ça m’a étonné quand il m’a appelé. Je ne sais même pas comment il a eu mon numéro de portable. La dernière fois qu’on s’est vus, je ne suis même pas sûr que les portables existaient déjà. Vincent a connu un petit succès avec une série télé, il y a quelques années. À l’époque, on le reconnaissait dans la rue et on lui demandait des autographes, alors... il s’est pris pour une vedette. Depuis, on n’a plus jamais retravaillé ensemble. Moi, je n’étais pas une vedette, alors vous comprenez... Maintenant, tout le monde l’a un peu oublié. Les chevilles ont eu le temps de désenfler. Il enchaîne les seconds rôles au théâtre ou à la télé. Bref, il est redevenu un comédien comme il y en a beaucoup d’autres. C’est peut-être pour ça qu’il a repensé à moi...